- COURANTS MARINS (VARIABILITÉ DES)
- COURANTS MARINS (VARIABILITÉ DES)Les cartes de courants marins (cf. corrélats in fine ) représentent la circulation océanique observée, c’est-à-dire la vitesse moyenne statistique superficielle en tout point de l’océan. Cette circulation est déduite principalement de l’exploitation des journaux de navigation des navires. Elle s’accorde assez bien avec la vitesse géostrophique superficielle calculée à partir des mesures de température et de salinité. Ce calcul suppose que le courant est régulier dans le temps (quasi permanent) et dans l’espace (gradient horizontal de la vitesse petit) et repose sur l’hypothèse des équilibres géostrophique et hydrostatique locaux. L’équilibre géostrophique est celui qui existe entre la composante horizontale du gradient de pression et la force de Coriolis ; l’équilibre hydrostatique est celui du gradient vertical de pression et de la pesanteur.La force de Coriolis F , due à la rotation de la Terre, est proportionnelle à la vitesse locale v du courant: F = 福f v; 福 est la masse volumique de l’eau; le paramètre de Coriolis f est égal à 2 諸 sin 﨏, où 諸 désigne la vitesse angulaire de rotation de la Terre ( 諸 = 7,292 憐 10-5 rad/s), et 﨏 la latitude. La force F est perpendiculaire à v; elle est dirigée vers la droite dans l’hémisphère Nord et vers la gauche dans l’hémisphère Sud.L’utilisation de puissants ordinateurs permet de simuler la circulation superficielle (et profonde) produite par les vents statistiques; il s’avère que les courants marins sont causés principalement par les vents.Cependant, les observations détaillées ainsi que des considérations théoriques appuyées sur des modèles numériques montrent que les courants océaniques sont variables et qu’ils présentent des écarts notables par rapport à l’équilibre géostrophique. La structure fine des courants marins révèle leur caractère transitoire (variations temporelles) et leur caractère non linéaire (variations spatiales).La variabilité océanique observéeDepuis longtemps, les océanographes ont constaté que les caractéristiques des eaux superficielles et sous-jacentes sont soumises à des variations importantes, journalières, mensuelles, saisonnières et interannuelles. Ces variations sont corrélées plus ou moins clairement avec les conditions atmosphériques et avec les vents. Les possibilités techniques modernes, en particulier les instruments enregistreurs in situ de longue autonomie et ceux qui sont embarqués sur certains satellites, permettent de déterminer les caractères et les mouvements des eaux superficielles et subsuperficielles. Il apparaît nettement que l’océan, à l’instar de l’atmosphère, mais à des échelles spatiales plus petites et temporelles plus longues, est sujet à des variations notables.Nous ne citerons que pour mémoire le phénomène des marées (dont l’origine réside dans les forces gravitationnelles engendrées par la Lune et par le Soleil), qui est formé par la superposition de composantes de périodes principalement semi-diurnes et diurnes, imposées par les mouvements astronomiques. Les marées se traduisent par des variations périodiques du niveau de la surface libre et des courants, avec une amplitude qui peut être considérable dans les mers littorales.En plus de ces variations, les courants marins fluctuent sur une bande continue de périodes qui s’étend de la seconde, pour la turbulence (fig. 1), les vagues, la houle, au jour (fig. 2), au mois, à l’année et au-delà. Cette variabilité est localement représentée par l’analyse spectrale, c’est-à-dire par un spectre continu de densité d’énergie en fonction de la fréquence (fig. 3). De tels spectres comportent des pics qui ne sont pas tous identifiables et explicables. L’énergie qui est mise en jeu dans ces fluctuations de courant est généralement bien supérieure à l’énergie cinétique du courant moyen.Une part considérable de la variabilité océanique est liée à des échelles spatiales moyennes, de l’ordre de 200 kilomètres. Dès 1955, le suivi de flotteurs à flottabilité neutre par John C. Swallow a permis de mettre en évidence des trajectoires formant des boucles et des tourbillons à grandes profondeurs. Ceux-ci se déplacent à des vitesses de l’ordre de 5 à 10 centimètres par seconde en conservant leur identité pendant plusieurs semaines.L’utilisation de bouées dérivantes superficielles suivies par satellites, des mesures thermiques – jusqu’à 700 mètres de profondeur à l’aide de sondes perdues X.B.T. (expandable bathythermographs ) et en surface par imagerie infrarouge satellitaire – ont révélé l’existence de tourbillons dans de nombreuses régions océaniques. Dans la région du Gulf Stream, ces tourbillons sont liés à la présence d’une veine de courant fort. Cette veine est affectée de méandres dont la phase se propage vers l’aval du courant. De manière intermittente, les méandres augmentent d’amplitude et forment des occlusions. Des anneaux sont ainsi engendrés de part et d’autre de la veine (fig. 4); ceux qui se situent du côté droit sont cycloniques et froids, car ils ont emprisonné de l’eau froide provenant de la partie nord du Gulf Stream; inversement, sur le côté gauche, les anneaux sont anticycloniques et chauds. Une fois formés, à raison de cinq à huit par an de chaque côté, ces anneaux subsistent durant des mois en migrant vers le sud-ouest. Les anneaux chauds, enserrés entre le talus continental et la veine du Gulf Stream, sont réabsorbés par celle-ci. Dans le sud de l’océan Indien, on a constaté la présence de tourbillons, différents des anneaux précédents, et qui sont formés au nord de la veine du courant circumpolaire antarctique. Des mesures radars à l’aide du satellite Geosat (Geodesy Satellite) ont permis de détecter la variabilité de la surface libre de l’océan et, par conséquent, celle des courants correspondants (fig. 5). Elles ont montré que cette variabilité tourbillonnaire à échelle moyenne est intense, principalement dans les régions suivantes: Gulf Stream, Kuroshio, courant circumpolaire antarctique, côtes est de l’Afrique du Sud, de l’Australie et de l’Amérique du Sud. Il faut noter que l’observation de la variabilité océanique bénéficie d’une nouvelle méthode d’étude, la tomographie acoustique à l’aide de plusieurs émetteurs et récepteurs sous-marins convenablement répartis dans l’océan. Enfin, il y a lieu de penser que ces tourbillons jouent un rôle dans les transports de chaleur entre les zones relativement chaudes et les zones relativement froides dans les océans, comme le font les dépressions météorologiques dans l’atmosphère.À une échelle de temps interannuelle, on peut mentionner le phénomène El Niño. Durant certains hivers boréaux, les résurgences d’eau froide le long de la côte du Pérou cessent de se produire, entraînant la disparition des anchois et des oiseaux qui s’en nourrissent et donnent le guano. Ces changements sont liés aux phénomènes climatiques suivants: variations du niveau de la mer et du champ de vent dans la région équatoriale du Pacifique et le long de la côte du Pérou, oscillations de la circulation et de la pression atmosphériques sur l’océan Pacifique subtropical.À l’échelle de plusieurs dizaines d’années, il faut noter une évolution climatique de + 1 0C de la température superficielle dans l’hémisphère Nord. Nous ne parlerons pas ici des évolutions climatiques des océans aux échelles de temps géologiques de dix mille ans et plus [cf. PALÉOCLIMATOLOGIE].Origines de la variabilité océaniqueOn sait que le rayonnement solaire est à l’origine des échanges d’énergie à l’interface océan-atmosphère. Ces échanges se font sous forme thermique (rayonnement, évaporation) et sous forme mécanique (quantités de mouvement cédées par le vent aux vagues et aux courants). Or ces transferts d’énergie sont très variables, puisqu’ils sont liés aux fluctuations atmosphériques. Par ailleurs, la variabilité des courants marins est aussi influencée par les facteurs essentiels suivants: rotation de la Terre, stratification en densité de l’eau de mer et relief du fond. Il faut noter que ces derniers facteurs ne constituent pas une cause de variabilité des courants.La réponse de l’océan aux excitations atmosphériques fait apparaître des ondes d’espèces variées: ondes d’inertie, ondes internes, ondes topographiques, ondes planétaires et ondes équatoriales. De plus, l’existence d’une stratification en densité fait apparaître deux modes pour les ondes et les courants associés. Un premier mode, dit barotrope, est caractérisé par des mouvements sensiblement uniformes sur la verticale, par des déplacements de faible amplitude des surfaces isothermes, et par une vitesse de propagation rapide. Un second mode, dit barocline, est caractérisé par des mouvements d’amplitude variable sur la verticale, par des déplacements des isothermes atteignant une grande amplitude à certaines profondeurs suivant la densité et par une vitesse de propagation très lente.Quand, par exemple, le vent se lève brusquement, l’océan répond d’abord à cette impulsion par des oscillations sur la période de Coriolis, dite encore d’inertie, T = 2 神/f , qui est égale à dix-sept heures environ aux latitudes tempérées. Des observations en un point fixe ont fort bien mis en évidence ces oscillations (boucles de courant, fig. 2) en présence d’une thermocline saisonnière. Après un certain temps, les isothermes de la thermocline sont animées d’ondes internes de période dite de Brunt-Väisälä, qui est inversement proportionnelle à la racine carrée du gradient de densité (période comprise entre dix minutes et dix heures environ).Sous l’action des coups de vent et des variations de pression atmosphérique, il se forme, sur les fonds présentant un relief accidenté, des ondes topographiques. Celles-ci sont guidées par le relief, c’est-à-dire qu’elles se propagent dans une direction qui laisse les petits fonds sur la droite dans l’hémisphère Nord et sur la gauche dans l’hémisphère Sud (cet effet est dû à la force de Coriolis). Leurs périodes sont comprises entre la période d’inertie et quelques jours. En outre, la sphéricité de la Terre, en entraînant une variation du paramètre de Coriolis f avec la latitude, joue un rôle déterminant sur les caractéristiques des ondes planétaires. Celles-ci ont des périodes de l’ordre de quelques jours pour les modes barotropes et de quelques mois pour les modes baroclines. Les observations de courant dans l’océan Atlantique ainsi que les observations radars du satellite Geosat dans le sud de l’océan Indien ont mis en évidence des ondes planétaires avec des périodes de cent à deux cents jours et des longueurs d’onde de 200 à 400 kilomètres. C’est l’existence de modes topographiques et planétaires d’énergies relativement élevées qui explique la différence entre les spectres observés aux îles Kerguelen et Amsterdam (fig. 3). En effet, les îles Kerguelen, contrairement à l’île d’Amsterdam, se trouvent entourées d’un plateau très étendu et accidenté (fig. 5). Enfin, il faut mentionner l’existence d’ondes équatoriales ou guidées par l’équateur. Celles-ci ont une amplitude notable uniquement dans un «chenal» centré sur l’équateur et dont la largeur est de 400 kilomètres environ. Ces ondes jouent un rôle décisif dans la variabilité des courants équatoriaux, et en particulier dans le phénomène El Niño.Une autre cause de la variabilité des courants marins réside dans la non-linéarité des équations de la dynamique des fluides. Si les courants présentent des variations spatiales sur une échelle a , l’importance des termes non linéaires est mesurée par le nombre de Rossby, Ro = v/fa . Quand ce nombre tend vers zéro, le courant devient géostrophique; mais, quand il est voisin de 1, c’est-à-dire quand la vitesse v est grande et l’échelle a relativement petite, les processus non linéaires jouent un rôle important. Ils sont à l’origine de l’instabilité des veines de courant intenses et président à la naissance et à l’évolution des méandres et des tourbillons. De plus, ils interviennent de manière essentielle dans les échanges ou cascades d’énergie entre les mouvements d’échelles différentes. Pour tenir compte au premier ordre des termes non linéaires, quand le nombre de Rossby est inférieur à l’unité mais non négligeable, on utilise une approximation quasi géostrophique. Celle-ci résulte d’un théorème de Hans Ertel qui énonce la conservation du tourbillon potentiel en suivant le mouvement du fluide. Le calcul montre alors qu’il se produit dans certaines conditions une instabilité barocline susceptible d’engendrer des tourbillons. Là encore, le relief du fond intervient de manière déterminante dans ce processus, car les tourbillons ont une extension en profondeur souvent considérable. Enfin, il convient de noter que les termes non linéaires jouent aussi un rôle essentiel dans les cellules de convection qui se produisent au cours de la formation hivernale des eaux profondes.
Encyclopédie Universelle. 2012.